Escapade routière nostalgique sur la Route 66 : de Santa Monica à Albuquerque
Photo ci-dessus : Pendant leur escapade routière sur l’ancienne Route 6, les amateurs de bolides de course classiques prennent une pause.
Article et photos de Joe Rogers
Joe est un rédacteur et un photographe touristique qui travaille à la pige à partir de Denver, au Colorado.
Sur la Route 66, baptisée la « route mère », vous trouverez des sourires accueillants et l’ange gardien de la route historique.
Je faisais face au soleil californien pendant qu’il répandait sa lumière sur les eaux bleu vert du Pacifique à mes pieds. À la jetée de Santa Monica dans le comté de Los Angeles, il n’y avait ni de files d’attente pour monter dans la grande roue, ni de foules, ni de colporteurs d’art. J’étais en compagnie de quelques pêcheurs et d’une poignée d’autres lève-tôt qui faisaient une promenade ou étaient à la recherche d’un bon café. J’ai pris une grande bouffée d’air frais et salé. Quelque part au-delà de la jetée, loin des vagues déferlantes que j’adore tellement, était la Route 66, une route tellement gravée dans mes rêveries qu’il a été facile de tourner mon attention vers l’est. Los Angeles marque généralement la fin du parcours, mais pour moi, c’était le point de départ de mon voyage.
Surnommée « la rue principale de l’Amérique » et mieux connue sous le nom de « route mère » selon John Steinbeck, la Route 66 est l’une des autoroutes les plus légendaires au monde. Elle s’étend sur 3 940 kilomètres, de Chicago à Los Angeles, et traverse le cœur de l’Amérique. Les origines de l’autoroute sont évoquées par des histoires d’épreuves, d’espoir, de famille, de survie, de bons moments et de mauvais moments. Dans les années 1930, les familles démunies l’ont parcourue pour fuir le Dust Bowl (Bassin de poussière) à la recherche d’un avenir meilleur. Plus récemment, il a servi de passerelle pour les vacances familiales. Au fil du temps, la Route 66 est tombée dans l’obscurité, mais aujourd’hui, elle connaît une revitalisation bien accueillie.
Pour la première étape de mon voyage, j’ai parcouru la « vieille route » autant que possible jusqu’à West Hollywood, puis à travers Pasadena, et finalement, en direction nord jusqu’en périphérie d’Oro Grande, en Californie. Les brises océaniques fraîches et les palmiers dansants étaient disparus. Ici, il faisait chaud, et le ranch d’arbres de bouteilles d’Elmer Long était entouré de buissons morts roulant sous la brise et de désert. Il arrivait que sa profonde toux du fumeur interrompe Long lorsqu’il racontait ses histoires sur son expérience à travailler dans l’usine de béton locale; sur les investissements fonciers qu’il avait réalisés; et sur les fouilles dans le désert que lui et son père faisaient pour récupérer des bouteilles vides abandonnées. « Les quatre pièces bleues dans le haut de cette poulie forment mon œuvre préférée. Je les ai récupérées avec lui dans les années 50. »
Les milliers de bouteilles en verre qui ornent de grands poteaux métalliques brillent sous le soleil de l’après-midi, créant un labyrinthe éclectique et coloré. Se tenant debout parmi sa collection de bizarreries en bord de route, Long a déclaré en ricanant, « J’ai créé quelque chose d’original ici, il n’y a pas de doute. Et, il me reste encore beaucoup de travail à faire, mais c’est l’énergie qui me manque. » (Remarque : Elmer est décédé peu après cet entretien.)
La journée devenait de plus en plus chaude, alors j’ai quitté Oro Grande pour me rendre à Barstow, où j’ai tracé mon itinéraire pour Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Je n’avais prévu que quelques arrêts. Je voulais que le hasard décide de la plupart des journées.
Durant mon trajet, le temps passait au ralenti, des tronçons de route déserte s’étendaient sur des kilomètres et des étrangers prenaient un café ensemble en jasant comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Vingt minutes sont devenues deux heures au Bagdad Café de Newberry Springs, en Californie. « Auparavant, le café était si fort qu’une cuillère se tenait debout dans la tasse », a raconté Duane Wilson, un résident saisonnier du village. Nous avons ri aussi fort que le vent soufflait à l’extérieur. À Amboy, en Californie, les bâtiments déserts aux couleurs pastel décolorées se fondaient dans un décor de sable et de ciel blanchis par le soleil du désert Mojave. J’ai été accueilli par un âne en piètre état dans une des rues d’Oatman, un ancien village minier transformé en halte routière touristique dans les montagnes noires de l’Arizona. En arrivant au motel un peu kitsch El Trovatore Motel de Kingman, en Arizona, j’ai eu l’impression d’avoir remonté dans le temps aux années 1940; et dans la ville de désert à haute altitude de Seligman, je me sentais comme chez moi.
C’est là qu’Uschi Fuchs, la charmante propriétaire du magasin général Seligman Sundry, nous a servi, à moi et à d’autres voyageurs, un café noir corsé tout en expliquant que « le temps passé sur la route nous en apprend beaucoup sur la vie ». Et, c’est sur la route que j’ai rencontré Ravi Shetty, un jeune homme qui adorait parler du basket-ball et qui était à apprendre à gérer le motel Supai Motel que son père lui avait laissé en héritage à sa mort. « Ce n’est pas comme si je pouvais l’appeler pour lui demander comment faire quelque chose. Mais je réussis quand même à me débrouiller tout seul. » Et c’est là que John Delgadillo, un gars débordant de joie de vivre qui gère le commerce de son propre défunt père, le Snowcap Drive-In, m’a généreusement offert de faire une promenade dans la ville dans son Ford 1936 qui était stationné devant la porte.
À Seligman, les sourires accueillants, les personnalités charmantes et la volonté indéfectible de demeurer pertinents étaient contagieux. En grande partie, cette volonté résolue émanait du barbier de longue date, Angel Delgadillo, qui était également l’oncle de John Delgadillo et « l’ange gardien de la Route 66 ». Je l’ai rencontré à l’extérieur de la boutique de cadeaux Angel and Vilma’ Gift Shop comme il descendait de son vélo. Bien qu’il avait plus de 90 ans, il se rendait à la boutique en vélo quand c’était nécessaire, et sa démarche révélait un esprit vif et dynamique.
« Auparavant, plus de 9 000 voitures passaient dans le village chaque jour, » a raconté Angel Delgadillo lorsque nous nous sommes assis ensemble pour jaser. Des milliers de photos de visiteurs recouvraient les murs du petit salon de barbier. « Puis, dès le 22 septembre 1978, toute cette circulation routière passait par l’autoroute Interstate 40. La ville a agonisé pendant 10 ans. On nous avait oubliés. »
Au début des années 1980, Delgadillo coupait toujours les cheveux cinq jours par semaine, mais lui et la ville continuaient à éprouver des difficultés. Les rares voyageurs qui s’arrêtaient partageaient avec lui leurs bons souvenirs de voyages en famille le long de l’ancienne autoroute, alors qu’ils étaient eux-mêmes des enfants.
« C’était des anecdotes qu’on me répétait sans cesse, a-t-il dit. Homme et femmes me racontaient qu’il s’agissait du moment fort de leur été. Ils s’ennuyaient de l’Amérique d’antan. Nous, les gens. La route. Les bâtiments. J’ai donc eu une idée. Voici comment nous pouvons relancer notre économie. »
Cette idée était de demander à l’État de qualifier d’historique la Route 66, de Seligman à Kingman, dans l’espoir de rappeler au public qui voyage qu’il existe un itinéraire plus nostalgique, plus lent et plus pittoresque en Arizona. Au cours de la prochaine décennie, la Historic Route 66 Association of Arizona a été formée. Delgadillo écrivait une lettre après l’autre et parlait à tous ceux qui voulaient bien l’entendre.
« Nos efforts ont été ignorés, et ça l’a été une lutte, un véritable combat dès le premier jour, a-t-il déclaré. Mais, finalement, en novembre 1987, on accorde au tronçon Selgiman – Kingman la désignation officielle de "Historic Route 66". C’est nous, le peuple, qui avons sauvé la route. Notre petite ville a sauvé la Route 66. »
Deux jours plus tard, après un long trajet j’arrivais au Nouveau-Mexique, ce qui mettait fin à la première étape de mon voyage après environ 1 287 kilomètres. En Arizona, j’ai eu l’honneur de me « tenir debout sur le célèbre coin de rue » de Winslow; j’ai passé une nuit dans le populaire Wigwam Motel de Holbrook; et j’ai parcouru des kilomètres de magnifiques paysages en passant devant des villes fantômes, des postes de traite et des cafés familiaux. Alors que je me trouvais sous un ciel de désert sombre au Nouveau-Mexique, juste à l’ouest des lumières scintillantes de la ville d’Albuquerque, mes pensées se sont tournées vers Angel.
Je pensais à lui, assis dans la vieille chaise de barbier de son père, ses yeux écarquillés, ses éclats de rire gras et sa passion pour la route toujours aussi ardente. « On ne connaît la valeur d’une chose qu’après l’avoir perdue », m’a-t-il dit ce jour-là. Cela explique peut-être pourquoi les gens empruntent toujours la Route 66; ils veulent préserver ce sentiment de communauté et se rappeler comment il fait bon de vivre en Amérique quand les gens sont solidaires. L’histoire est exprimée par ceux qui la vivent, et tout comme la Route 66, notre histoire durera tant que nous n’oublions pas ce que nous partageons ensemble.
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